« Dahomey » de Mati Diop : Une quête de mémoire et de justice restituée
La sortie du film « Dahomey » de Mati Diop au Bénin marque un moment fort dans le paysage culturel national et international. Centré sur le rapatriement en 2021 de 26 trésors royaux datant de l’ancien royaume du Dahomey, le long-métrage explore les questions de restitution patrimoniale et de mémoire collective, plongeant au cœur des enjeux identitaires et historiques qui touchent non seulement le Bénin, mais l’ensemble du continent africain.
Mati Diop s’empare de ce sujet complexe avec une sensibilité rare, parvenant à traduire l’intensité émotionnelle qui accompagne le retour de ces œuvres d’art, dérobées par la France durant l’époque coloniale. Le film évite les pièges du documentaire pur et dur, préférant raconter l’histoire du rapatriement à travers le prisme d’un récit humain et poétique, où chaque objet restitué devient le symbole d’une mémoire fragmentée qui cherche à se reconstituer.
La force de « Dahomey » réside dans sa capacité à évoquer des questions universelles à travers une histoire profondément ancrée dans la réalité béninoise. En documentant le parcours des 26 trésors, depuis leur exposition au musée du Quai Branly à Paris jusqu’à leur retour triomphal au Bénin , Diop interroge le rapport complexe entre l’Afrique et son passé colonial, tout en célébrant la résilience et la dignité d’un peuple qui refuse l’oubli.
La mise en scène, minimaliste et dépouillée, permet de mettre en lumière l’essence même du sujet : le retour au bercail de ces objets, porteurs d’une histoire et d’un savoir ancestraux. Les séquences filmées au Bénin, lors de la cérémonie d’accueil des trésors, dégagent une intensité presque palpable, renforcée par les témoignages des habitants, des chefs traditionnels et des jeunes générations. Ces scènes incarnent l’espoir d’un avenir où le patrimoine culturel africain retrouverait pleinement sa place sur son propre sol.
L’un des aspects les plus marquants du film est le traitement des trésors eux-mêmes. Plutôt que de les réduire à de simples objets d’art, Diop leur redonne une vie, une âme, qui transcende leur matérialité. Chaque sculpture, chaque trône, chaque relique est filmé avec une attention quasi-mystique, comme pour rappeler leur rôle dans la transmission des valeurs, des traditions et de l’histoire du peuple du Dahomey, aujourd’hui Bénin. Ce traitement délicat évite toute glorification creuse et met l’accent sur le lien spirituel entre les trésors et leur terre d’origine.
Cependant, « Dahomey » ne se contente pas de célébrer la restitution. Le film pose également des questions cruciales sur les conditions de cette restitution et sur ce qu’elle signifie réellement. À travers les débats entre historiens, conservateurs et activistes culturels, Diop soulève les ambiguïtés d’un processus qui, bien qu’essentiel, reste marqué par des rapports de force inégaux. La France rend ces trésors, mais que se passe-t-il pour les milliers d’autres encore détenus dans ses musées ? La restitution peut-elle réparer les blessures du passé, ou ne constitue-t-elle qu’un premier pas vers une réconciliation encore lointaine ?
Certains critiques reprocheront peut-être à « Dahomey » une approche trop introspective, au détriment d’une analyse plus frontale des responsabilités coloniales. Mais cette subtilité est justement ce qui fait la force du film. Plutôt que de chercher à condamner, Diop invite le spectateur à réfléchir sur les notions de justice et de réparation, tout en laissant parler les voix béninoises, qui expriment tour à tour fierté, douleur et espoir.
En conclusion, « Dahomey » est une œuvre puissante et nécessaire, qui, en documentant le retour de ces 26 trésors royaux, interroge les dynamiques de pouvoir, de mémoire et de restitution. Plus qu’un simple film, il s’agit d’un acte artistique et politique, qui replace le Bénin au centre de son propre récit et appelle à une réappropriation de son patrimoine culturel. Mati Diop signe ici un film poignant, empreint de dignité, qui résonnera longtemps dans les esprits de ceux qui aspirent à une véritable renaissance africaine.
Bérénice Célia Gainsi
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