Zone Franc(h)e en compétition aux JTC 2024 : Quand le théâtre dévoile une aventure migratoire pleine d’audace
Présentée lors des Journées Théâtrales de Carthage (JTC) 2024, Zone Franc(h)e, une production de Baob’art Théâtre, mise en scène par Bardol Migan, a captivé l’audience lors de sa représentation dans la salle de théâtre du «4ème art » à Tunis, dans le cadre de la compétition officielle. Inspirée d’un texte d’Édouard Elvis Bvouma, cette pièce plonge les spectateurs dans une réflexion profonde et actuelle sur les défis de l’immigration, mêlant poésie, absurde et réalisme.
La force de la pièce réside non seulement dans son texte percutant mais aussi dans les prestations des comédiens Adéline Nandja, Casimir Agbla et Kossou Archimède. Ces derniers livrent des performances intenses et immersives, jouant avec les registres de l’humour et de l’émotion. Grâce à leur énergie débordante, le public devient un acteur à part entière. L’interaction directe avec les spectateurs, qui se retrouvent tantôt complices, tantôt témoins du récit, apporte une dimension participative inédite. Chaque regard, chaque geste des comédiens contribue à briser le mur, créant une proximité qui accentue l’impact du message. Cette approche immersive, bien maîtrisée, invite à une introspection collective sur les réalités de la migration.
Une histoire empreinte d’audace et d’insolite
Zone Franc(h)e se démarque par l’originalité de son intrigue. Le personnage principal, Franc de Gaulle, dont le nom évoque un hommage satirique au Général de Gaulle, incarne un migrant dont le parcours vers la France est aussi improbable que symbolique. Après deux refus de visa, il se cache dans un tronc d’iroko, transformé en cachette de fortune. Ce détail, à la fois métaphorique et frappant, illustre la créativité et la détermination des migrants face à l’adversité. L’idée d’emporter des jeux comme le Scrabble et le Monopoly n’est pas anodine : elle souligne avec ironie le jeu constant entre les règles et les obstacles que les migrants doivent affronter. Ce choix donne lieu à des dialogues teintés d’absurde mais porteurs d’une critique sociale acérée. La pièce pose ainsi des questions essentielles : jusqu’où peut-on aller pour réaliser un rêve ? À quelles règles doit-on se plier lorsqu’on devient étranger dans un nouveau territoire ?
Des thèmes forts et universels
À travers le personnage de Franc de Gaulle, Zone Franc(h)e aborde des enjeux cruciaux liés à l’immigration, tels que la quête d’identité, l’appartenance et le regard porté sur les migrants. Bien que l’histoire soit fictive, elle s’inspire de situations réelles vécues par des milliers de personnes cherchant à traverser les frontières. L’allégorie de la France personnifiée en « Marie-France » est une trouvaille puissante, qui traduit à la fois le désir et le rejet souvent inhérents aux dynamiques migratoires. Le texte de Bvouma ne se limite pas à dénoncer mais aussi, il invite à une réflexion sur la complexité des choix individuels et collectifs face aux flux migratoires. L’écriture, mêlant poésie et satire, donne à la pièce une portée universelle qui résonne bien au-delà du cadre africain ou européen
Une scénographie minimaliste
Si le texte brille par sa puissance, la scénographie s’est montrée minimaliste. L’idée de l’iroko comme cachette est forte, mais aurait pu être exploitée davantage pour renforcer la symbolique de l’arbre comme refuge et ancrage. Une scénographie plus élaborée, jouant sur les lumières, les ombres et les espaces, aurait sans doute amplifié certains moments clés, notamment les séquences d’interrogatoire et les interactions entre les personnages. Cependant, on pourrait dire que cette sobriété scénique met en avant le jeu des acteurs et la force du texte, créant une intimité propice à la réflexion. Les choix de mise en scène, bien que perfectibles, servent néanmoins à recentrer l’attention sur l’essentiel : le récit humain au cœur de cette odyssée migratoire.
En définitive, Zone Franc(h)e est bien plus qu’une simple pièce de théâtre. Elle s’impose comme une œuvre engagée, audacieuse, qui traite avec finesse et intelligence des problématiques contemporaines liées à l’immigration. Sa présence en compétition officielle des JTC 2024 confirme sa pertinence et sa capacité à toucher un large public. Cette performance, portée par des comédiens talentueux et un texte incisif, est une invitation à la réflexion, à la remise en question des préjugés et à l’ouverture. Une œuvre à suivre de près et à applaudir sans réserve.
Bérénice Célia Gainsi
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