×

Judith Danhouègnon : “Le Fâ, c’est mon héritage, mon identité et ma destinée”

Judith Danhouègnon : “Le Fâ, c’est mon héritage, mon identité et ma destinée”

Le Fâ n’est pas seulement une pratique divinatoire. Pour beaucoup de béninois, il représente une clé de lecture du monde, une mémoire vivante et un repère spirituel. Dans le cadre de notre enquête autour du Prix Cultura Afrique francophone 2025, nous avons rencontré Judith Danhouegnon Bokonon Zounto Agbaley, prêtresse de Fâ. Avec une conviction rare et des mots empreints de sincérité, elle livre un témoignage profond qui illustre l’importance de cette tradition millénaire dans la société béninoise contemporaine.

C’est dans l’illustre demeure du Roi d’Assanté, Dada Adidékon Vognon Danhouègnon que nous avons rencontré Judith Danhouègnon, Boconon Zounto Agbaley, Princesse de la cour royale mais également prêtresse de Fâ. Elle nous reçoit dans la salle de consultation où divers objets sacrés occupent les étagères. Entre ses doigts, elle fait rouler doucement son chapelet de Fâ et plongée dans une tranquillité légendaire, elle se confie à nous.

Judith Danhouègnon, Bokonon Zounto Agbaley / Prêtresse de Fâ

Pour Judith, le Fâ n’est pas une simple fonction rituelle mais c’est aussi le souffle même de sa vie, un héritage qui l’accompagne dans chacune de ses décisions. « Je peux dire que le Fâ représente toute ma vie. Le Fâ, c’est mon héritage. Le Fâ, c’est mon identité. C’est qui je suis. Parce que quand tu prends le Fâ, le Fâ te dit qui tu es, ce que tu feras dans ta vie. Le Fâ n’est pas défini au fait. Donc le Fâ représente tout pour moi. Quel que soit ce que je veux faire, je consulte toujours. Et le Fâ me donne le chemin à suivre. Le Fâ est mon guide spirituel, ma destinée. Le Fâ est en général tout pour moi. »

Ces propos mettent en lumière le rôle central du Fâ dans la construction identitaire des individus qui s’y consacrent. Héritage transmis de génération en génération, il constitue à la fois une mémoire des ancêtres et une carte de route pour l’avenir.

D’un passé stigmatisé à une reconnaissance grandissante

Longtemps associé à des pratiques occultes ou diabolisé par certaines influences religieuses et coloniales, le Fâ a souffert d’une image négative. Judith rappelle avec force cette époque douloureuse : « Avant, on était pointés du doigt comme les enfants de Satan, on nous rejetait. Mais aujourd’hui, chacun est fier de s’affirmer, d’affirmer son identité, d’affirmer qui il est. Le Fâ que beaucoup de gens ont rejeté autrefois est désormais recherché. » Ce renversement illustre un mouvement plus large de réhabilitation des valeurs endogènes au Bénin. Comme le souligne Judith, notre prêtresse de Fâ : « Les sociétés béninoises valorisent le Fâ parce qu’elles ont fini par comprendre que c’est en réalité qui nous sommes. Le Fâ nous définit. Pour connaître ses origines, pour savoir qui est un enfant et quel sera son destin, on ne peut que consulter le Fâ. Aujourd’hui, même sur les réseaux sociaux, chacun veut montrer son identité. Et ça, c’est une fierté. »

Lire aussi : Entre foi et stigmatisation, le foi à l’épreuve du Bénin contemporain

Judith Danhouègnon à coté de son père, Dada Adidékon Vognon, Roi d’Assanté

Une clientèle diversifiée et en mutation

La prêtresse reçoit aujourd’hui des patients de tous horizons : « Mes patients viennent d’un peu partout. Je consulte pour des artistes, des hommes politiques, des revendeuses, des bonnes dames de marché. J’ai des clients dans tous les secteurs. » Au-delà de la diversité, elle observe une évolution significative : des personnes autrefois éloignées du Fâ y reviennent désormais. « Avant, certaines personnes ne juraient que par l’Église. Mais aujourd’hui, elles ont compris que notre tradition n’est pas une mauvaise chose et elles reviennent vers nous. Beaucoup quittent les églises pour revenir à la source, à la réalité du béninois et de l’Africain que nous sommes. » Ces propos traduisent une quête de sens et une volonté de réconciliation avec les racines spirituelles africaines.

Judith Danhouègnon, prêtresse de Fâ en pleine cérémonie de  »bain de Fâ »

Médias et école : des leviers essentiels pour l’avenir

Judith reconnaît le rôle crucial joué par les médias dans la revalorisation du Fâ : « Les médias font un excellent travail aujourd’hui. Avant, nous avions peur de nous afficher à cause des jugements. Mais désormais, chacun est libre grâce à eux. Les réseaux sociaux en particulier permettent de faire connaître nos valeurs endogènes. » Elle va plus loin en suggérant un ancrage institutionnel dans l’éducation : « Je pense qu’avec le temps, si l’État peut introduire le Fâ dans les programmes scolaires, ce serait une très bonne chose. On pourrait même créer des universités de Fâ pour que tout le monde comprenne comment cela se passe. » Un souhait qui reflète la volonté d’institutionnaliser l’enseignement des traditions endogènes, au même titre que les disciplines modernes.

Transmission et choix des ancêtres

La prêtresse insiste sur la dimension spirituelle de la transmission. Apprendre le Fâ ne se résume pas à une volonté humaine, mais implique une élection spirituelle. « C’est facile de transmettre si les jeunes le désirent vraiment et acceptent la voie des ancêtres. Il faut être choisi par eux et accepter sa destinée. Ensuite, il y a des voies d’initiation pour apprendre. Tant qu’il y a la volonté, c’est possible. » Ainsi, le savoir du Fâ se perpétue dans un équilibre délicat entre héritage, choix individuel et appel spirituel.

Lire aussi : Foi et héritage ancestral : quand un prêtre catholique confronte le Fâ

La reconnaissance de l’UNESCO : un tournant décisif

Un moment clé dans l’histoire récente du Fâ a été sa reconnaissance internationale. Proclamé chef-d’œuvre du patrimoine oral et immatériel de l’humanité par l’UNESCO en 2005, puis inscrit en 2008 sur la liste représentative du patrimoine immatériel, le Fâ a vu son statut profondément transformé. Judith Danhouègnon, Bokonon Zounto Agbaley témoigne de ce changement : « Avant, les gens se cachaient pour consulter. Aujourd’hui, chacun est libre. La tradition est reconnue et valorisée, ici comme ailleurs. Même l’État central a intégré la consultation annuelle dans son budget et elle se déroule au cours des Vodoun Days. Autrefois, seuls les dignitaires traditionnels prenaient en charge ce rituel. Maintenant, c’est officiel. L’UNESCO a fait un bon travail, c’est une grande fierté pour nous. » Cette reconnaissance a permis non seulement de briser les tabous, mais aussi de légitimer la pratique à l’échelle mondiale, offrant au Bénin une vitrine de sa richesse culturelle et spirituelle.

À travers la voix de Judith Danhouegnon, le Fâ apparaît dans toute sa dimension. C’est un outil de divination, vecteur identitaire, mémoire ancestrale et patrimoine universel. Son témoignage illustre la réappropriation en cours de valeurs longtemps marginalisées mais aujourd’hui revendiquées avec fierté.

Dans la continuité de cette série d’entretiens réalisés dans le cadre du Prix Cultura Afrique francophone 2025, nous partagerons très bientôt l’échange accordé par Marcel Zounon, expert du patrimoine, qui viendra enrichir ce dossier par une analyse pointue sur les enjeux de préservation et de valorisation du Fâ.

Contact de Judith Danhouègnon : +229 01 96 62 52 11

Bérénice Célia Gainsi

Share this content:

Laisser un commentaire